Ma chère lectrice, mon cher lecteur,
Il y a sur les bords de Seine, en face de l’île de la Jatte à Neuilly un modeste bâtiment de pierre et de brique qui sert de cabane aux jardiniers de la ville.
10 ans dans ma jeunesse je suis passé devant presque chaque jour et — allez savoir — chaque fois je me sentais privilégié.
J’y voyais un vestige des temps anciens, mémoire de pierre de pratiques moyenâgeuses à jamais révolues.
Trop longtemps je crus notre époque exceptionnelle.
Ce petit carré de facture étonnamment luxueuse était le bureau d’octroi de Neuilly-Levallois, l’un des derniers encore debout, mémoire de l’octroi de la Seine, extension du Mur des Fermiers généraux (puis de l’enceinte de Thiers) qui ferma Paris de 1784 jusqu’en 1943 à l’exception de 8 petites années de 1791 à 1798.
Oui mon cher lecteur, il y eut un octroi à Paris jusqu’en 1943.
Octroi de Montreuil en 1909
Toutes les époques connurent des octrois, surtout à leur fin :
Au temps de l’Empire romain, il alimentait le Trésor public et les cités.
Il finançait les fortifications de Paris au XIIe siècle.
Il devait rééquilibrer les finances du Royaume en 1784.
Il devenait œuvre de bienfaisance pour les hôpitaux sous le Directoire, intention bonne et immédiatement détournée par les communes.
Il financera l’armée de Napoléon à partir de 1805.
Au XIXe siècle, il fera la richesse des communes, participera à l’urbanisation rapide du territoire en proie à l’exode rural et contribuera au statut de « maire nourricier ».
Et si l’octroi finit par disparaître au XXe siècle, ce n’est sans doute pas par vertu mais parce que la TVA l’a efficacement remplacé comme reine des contributions indirectes et permis enfin la libre circulation des marchandises en France.
Il y a ceci de commun avec tous les octrois :
- Ils poursuivent toujours deux objectifs, l’un utilitaire — économique, militaire, social, sanitaire… — et l’un politique, ou devrais-je dire népotique ;
- Ils sont toujours détournés de leur utilité première et la politique de copinage finit par prendre le pas, si tant est que la raison utilitaire fut jamais autre chose qu’un alibi ;
- Ils sont toujours haïs du peuple et provoquent émeutes, révoltes et Révolution ; Ils ont été combattus par Vauban, Turgot, Beaumarchais, Lamartine, Hugo…
Le nom même d’octroi, nous vient du Moyen Âge, en héritage de l’Empire romain car c’était l’Empereur (puis le Roi) qui octroyait aux cités conquises le droit de lever l’impôt à leurs portes et l’utilisation qui pouvait être faite des fonds : L’outil était politique autant qu’économique.
Il s’agissait de s’assurer que les cités se conforment à la politique romaine, récompenser les dociles et punir les indépendantes.
Dans tous les cas, les citoyens romains étaient exemptés de l’octroi, ce qui leur apportait un avantage déterminant dans les affaires de l’Empire.
Plus près de nous, la Ferme générale sous l’Ancien régime fut ce système très archaïque où le Roi déléguait l’impôt à des fermiers, que l’on appelait jadis prévôts, c’est-à-dire des financiers, qui de fait, achetaient au Roi le droit de prélever l’impôt (qu’ils gardaient pour eux-même).
Il y avait en France « 5 grosses fermes » à la veille de la Révolution qui représentaient les 5 grands impôts prélevés par la Ferme générale.
L’octroi de Paris était l’une d’elles qui aboutira en 1784 à la construction du Mur des Fermier généraux autour de Paris pour limiter l’importante contrebande.
« Le mur murant Paris rend Paris murmurant » écrira Beaumarchais.
Petit à petit, la Compagnie des fermiers généraux s’était transformée en corps endogame tenu par quelques familles de la bourgeoisie financière du pays qui monopolisaient les charges et s’assuraient les subsides de la Ferme.
C’est ainsi qu’en 1770 le célèbre chimiste Lavoisier, issu d’une famille d’avocats au Parlement de Paris se verra ouvrir une charge à l’octroi de Paris après avoir épousé la fille du fermier général Paulze (il y avait alors une balance de grande précision pour vérifier les marchandises soumises à l’impôt qui lui permit de réaliser ses premières expériences de chimie).
Lavoisier qui avait défendu que la seule contribution juste fût l’impôt sur le capital finira malgré tout sous la lame de la guillotine pour avoir servi la Ferme honnie.
Durant tout le XIXe siècle, la question de l’octroi déchire la politique locale. Si les maires ont une position ambivalente entre petits despotes et représentants du Peuple, les Préfets et gouvernements, eux, s’opposent partout aux communes souhaitant abolir leurs octrois — véritable monde à l’envers autoritariste —, en particulier à Lyon à partir de 1870, alors même que le principe de l’octroi était largement désavoué depuis longtemps.
On a pu penser que l’octroi était impopulaire car il touchait les plus modestes le plus durement. Mais la TVA aujourd’hui, quoique controversée, ne jouit pas de la même haine et n’enflamme pas tant les débats.
L’octroi a cette particularité haïssable qu’il ne partage pas avec la TVA qu’il discrimine par nature.
Le problème n’est pas la taxe, c’est l’insupportable discrimination, l’apartheid des pauvres et des non conformes au profit de ceux qui ont déjà tout.
Le problème c’est que l’octroi poursuit toujours deux objectifs, l’un utile et l’autre népotique, et que de deux objectifs l’un finit toujours par céder.
Historiquement, l’octroi finit en instrument de copinage malsain par excellence : Il y a ceux qui passent et ceux qui restent à la porte, il y a ceux qui paient et ceux qui touchent, ceux qui contrôlent et ceux qui subissent.
L’octroi donne à la puissance publique cette image peu flatteuse de mafia qui a réussi et rançonne les voyageurs aux portes des villes.
Bien sûr le côté qui contrôle et qui touche et qui jouit le fait toujours en faveur de l’intérêt général.
Mais l’intérêt général, mon cher lecteur, a cette disposition de sublime fragilité : Il disparaît dès qu’on le nomme.
L’intérêt général va de soi ou ne va pas du tout et ce sont ceux qui s’en prévalent le plus qui le représentent le moins.
L’histoire retient la Bastille comme point de départ de la Révolution. Mais si le Directoire avait été moins avide et n’avait si tôt rétabli les octrois, peut-être nous souviendrions-nous également qu’avant la Bastille, le peuple de Paris avait mis le feu aux portes d’octroi du mur honni des fermiers généraux.
S’ils savaient mon cher lecteur : Il ne sort jamais rien de bon de ces barrières.
Imaginez alors un octroi à chaque porte.
Partagez cette lettre sur vos réseaux mon cher lecteur, transférez-la à votre carnet d’adresses. Mon travail n’a de valeur que dans la mesure où vous m’aidez à le diffuser… Et ce ne sont certes pas les médias subventionnés qui le feront.
À votre bonne fortune,
Guy de La Fortelle
PS : Je vous signale également cet article sur la balkanisation de la France… Et l’alternative : https://www.investisseur-sans-costume.com/ligne-droite-vers-les-balkans-sans-passer-par-la-suisse/